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Famille Bitulu
11 octobre 2005

Kisantu de tous les dangers

La grève qui a secoué l'enseignement primaire, secondaire et professionnel dans notre pays, empêchant la rentrée scolaire à la date du 05 septembre est suspendue depuis ce lundi 10 octobre. L'appel à la suspension a été lancé en termes mitigés par les coordinateurs des écoles conventionnées catholiques et islamiques. Le secteur officiel, représenté par le syndicat SYECO n'a pu formuler une proposition plus claire et s'est contenté d'annoncer la poursuite des concertations avec la base.

Essoufflement ou réalisme ?

Ni l'un ni l'autre, répondent les enseignants. Comme plusieurs personnes n'ont pas une bonne lecture de la mesure d'année blanche par l'UNESCO, bon nombre de parents ont craint cette éventualité et se sont empressés d'offrir de payer le supplément aux enseignants, pourvu que leurs enfants reprennent les cours. La vérité sur cette question est que l'année scolaire n'ayant pas encore commencé pour les enseignants, la grève n'a fait que reculer la date précise. Du reste, le calendrier scolaire peut être fixé à loisir par chaque pays, l'essentiel étant d'accomplir le temps obligatoire (soit environ 220 jours de classe). Ceci laisse la marge au pouvoir organisateur de considérer que l'année pouvait aller de novembre à août, même si cela décalerait les vacances de façon significative. On l'a déjà subi plusieurs fois dans ce pays, en réduisant les vacances de Noël et de Pâques à une seule semaine, celle des festivités.

Point n'est donc besoin de prétendre que les enseignants ont peur d'une année blanche. Ils sont mieux informés sur la question et pouvaient bien prolonger leur concertation en dehors des établissements scolaires, pour ne pas prêter le flanc à une quelconque manipulation.

C'est de la pure provocation que de parler d'intoxication politicienne à propos de ces revendications salariales qui révèlent au monde le fossé qui existe entre le gouvernement et la classe sociale des travailleurs. Ce fossé a permis une si forte paupérisation de la noble fonction d'enseignant que tout le monde l'exerce en attendant mieux. Ceux qui le peuvent cumulent les heures de travail en classe avec des activités "extra-muros" ou informelles, quand ils ne trouvent pas un arrangement entre plusieurs établissements où ils peuvent prester à temps partiel.

Les conséquences sont néfastes : une forte mortalité de jeunes enseignants dont l'organisme ne récupère les énergies dépensées puisque sous-payés de partout. Tous ceux qui traitent avec les enseignants ou autres fonctionnaires pour un contrat partent du salaire minimum interprofessionnel garanti que l'Etat impose à ses propres agents. Un état de faiblesse qui va jusqu'à permettre l'exploitation de nos matières grises par des expatriés pour des salaires de misère, pourvu qu'ils trouvent un moyen de s'octroyer un vol en catimini pour compléter sa rémunération.

L'enseignant est généralement un cadre formé qui sait lire et réfléchir sur son vécu et peut prendre des décisions autonomes et souveraines. Il n'a pas besoin d'adhérer à un parti politique pour savoir qu'il est mal payé et que son employeur dispose des moyens pour mieux honorer ses prestations. Ne le prenons pas pour un gamin ou une simple caisse de résonnance des "leaders politiques". D'ailleurs quel est ce politicien qui a pris partie pour les enseignants ? Toutes les couches sociales se sont mises à rêver du jour où la grève rapporterait le fruit escompté pour voir s'améliorer l'image de l'enseignement au Congo...

Quant au réalisme, personne ne croit sincèrement en un quelconque manque de moyens dans les caisses de l'Etat. Il suffit de causer avec les services générateurs de recettes administratives et d'exploitation pour apprendre qu'avec les recouvrements des secteurs douaniers et autres, l'on peut couvrir toutes les rubriques du budget national, et même aller au-delà. Tous ceux qui l'ont compris ne comptent plus sur les minerais ou autres produits d'importation pour renflouer les caisses de l'Etat. Nous ne sommes pas le premier pays à récolter tant de fonds par les taxes et autres produits de la vente des services administratifs.

Prétendre aujourd'hui qu'avec l'arrêt de la production des grandes entreprises minières d'autrefois l'Etat est en mal de recette relève de la manipulation de la vérité. D'ailleurs, même à l'époque de l'apogée de ces sociétés, les fonds ne rentraient pas dans les caisses de l'Etat. C'est grâce à cela que l'on a enrichi les castes au pouvoir au point de les rendre intouchables : aussitôt les minerais exportés, les fonds étaient versés dans des comptes que l'Etat ne contrôlait pas puisque appartenant à des familles "royales".

Et l'enseignant congolais sait cela. Il refuse donc de reculer devant l'argument d'un déficit de trésorerie. Les gagne-gros peuvent consentir le partage de leurs émoluments, les services officiels peuvent et doivent déclarer leurs taux de recouvrement et verser les fonds à la trésorerie de l'Etat. Cela ne sert à rien d'organiser des raffles publiques comme cette collecte de fonds par les policiers de roulage à longueur de journée, sans que cet argent n'arrive dans les caisses de l'Etat. On va même jusqu'à créer des sous-structures pour multiplier les barrages et les services, non pour la sécurisation routière mais plutôt pour obliger les conducteurs à se plier à la loi du plus fort, sans que personne ne sache combien a récolté tel ou tel policier largué par son chef à un poste rentable.

Concertations de Kisantu

Depuis ce mardi, nous apprenons que les délégations des enseignants sont descendues à Kisantu pour poursuivre les concertations avec le gouvernement. Les grévistes n'ont fait que suspendre la grève et non la lever. Ils maintiennent le mot d'ordre jusqu'à l'obtention des avantages exigés par la base. Entre autres : l'application du premier palier des Accords de Mbudi - qui se situent bien au-delà de l'actuelle proposition du gouvernement.

Enn plus de ce palier, les grévistes veulent revenir à Kinshasa avec les décrets signés, conformément aux arrangements obtenus avec toutes les instances administratives, Présidence de la République y compris. Sans oublier la juste répartition de la cagnote présidentielle qui demeure floue sur sa nature : est-ce une prime mensuelle, trimestrielle ou annuelle, une révision à la hausse de la proposition gouvernementale ? La participation aux travaux d'élaboration du budget, ...

Enfin, il semblerait que les institutions financières internationales auraient appelé les tenants du pouvoir à réviser les salaires de la haute sphère afin de faire face aux revendications salariales fondées de la base. Si tel est le cas, alors, les choses sont sur les rails.

Toutes ces questions demeurent sans suite et l'on risque d'aller placer les syndicalistes devant des menaces qui les placeraient en position de faiblesse : l'impossibilité de rencontrer leurs bases pour décider. En éloignant les syndicats de Kinshasa, l'on réduit de beaucoup leurs forces de frappe et l'on risque de tronquer les résolutions. Il est grand temps que les enseignants de la base s'organisent pour imposer leur souveraineté sur toutes les résolutions qui seraient contraires à leurs intérêts. Les syndicalistes le savent et n'ont pas la mémoire courte après ce qu'ils ont ramassé le 03 octobre dernier.

Cela réduit les marges de manoeuvres des uns et des autres face à la bonne attitude morale à adopter. Mieux vaut agir en toute conscience pour le bien et l'intérêt de tous que vouloir flouer l'autre partie pour en tirer profit. La vérité ayant le défaut d'être têtue, risque de venir éclater au grand jour au moment où l'on s'y attend le moins. Et alors, c'est la catastrophe totale. L'imprévisible détruit alors tout !!!

Que la province du Bas-Congo ne devienne pas le lieu de la trahison tous azimuts. Après Sun-City, c'est là que les gens s'étaient repliés pour concocter un coup fourré qui a cautionné le dysfonctionnement ayant accouché du monstre à cinq têtes qui nous dirige. Un mandat de cinq ans ne semble pas avoir suffi, il faut ourdir des manigances pour prolonger la souffrance des autres. Pourquoi ?

Alphonse-Marie Bitulu

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Commentaires
A
Je suis comblé après avoir lu cette riche et profonde reflexion de Alphonse-Marie. Toutes ces questions de fond qu'il soulève n'ont pour seul objectif que celui de faire comprendre au 1+4 et à tous ceux qui prétendent diriger le congo, que le gouvernement, s'il veut que l'espace qu'il administre soit considéré comme un Etat, il a un prix à payer : le prix de la justice, de l'équitable répartition du revenu national, entre tous les composants actifs, producteurs dudit revenu. A cette exigence, il n'y a pas d'alternative, sinon les questions qui reviendront récurrentes, amplifiées et insistantes avant de finir par la paralysie et pourquoi pas, le tsunami qui, après le grand balai, laissera émerger peut-être des responsables autrement plus imbus de justice sociale. Après tout, pourquoi pas ?<br /> <br /> Date de publication : 11/10/05 - 16:10
Famille Bitulu
  • Je suis éducateur et formateur de carrière et de profession. Mon épouse m'accompagne dans ce métier et nous aimerions partager notre expérience et notre foi avec ceux qui nous liront. Les remarques et autres suggestions nous aideront à améliorer et enrichi
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